Le genre poétique

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La poésie est avant tout un travail sur les mots, sur le langage : est poète celui qui réinvente la langue. Ce faisant, la poésie réinvente le monde : elle nous le donne à voir autrement.

I. Réinventer la langue

1) L’usage courant de la langue

Un mot a une face matérielle, le signifiant (ensemble de sons et de lettres), et une face immatérielle qui est dotée d’un sens : le signifié.

Signifié et signifiant sont indissociables l’un de l’autre et renvoient à un objet du monde (le référent), qu’il soit concret « la table » ou abstrait « le bien ». Qu’on le nomme « table » ou tavola, l’objet table ne change pas. On dit que le mot est arbitraire ou immotivé : il n’y a pas de lien direct entre le mot et l’objet qu’il désigne.

2) L’usage poétique de la langue

Le poète Stéphane Mallarmé regrette que les mots de la langue soient si mal assortis à ce qu’ils désignent (leur référent). Ainsi, il considère que les sonorités des mots « jour » et « nuit » ne correspondent pas à la réalité qu’ils désignent : alors que le mot « nuit » a un timbre clair, le mot « jour » a un timbre sombre.

C’est alors à la poésie de « rémunérer le défaut des langues » : chercher à ce que les mots arrivent à être plus près des choses. Dans l’usage poétique de la langue, le poète cherche à faire correspondre forme et sens, à remotiver les mots.

À noter

Le mot « poésie » vient du verbe grec poiein qui signifie « faire, créer ». Le poète est celui qui, à l’aide de la matière des mots, crée un monde.

« Manier savamment une langue, c’est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. » Comme l’écrit Baudelaire, c’est donc bien le travail sur la langue qui permet de créer un monde. C’est ce que fait la poésie.

3) Le poète, un être à part ?

Le poète est souvent pensé comme un être à part, qui a accès à une autre vérité, au-delà du langage de tous les jours.

Le poète « pareil aux prophètes […] voit, quand les peuples végètent ! », c’est ainsi que Victor Hugo le définit dans un poème intitulé « Fonction du poète » (1829). Plus tard, en 1871, Arthur Rimbaud écrit que « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

II. L’apport des contraintes

On pourrait penser que les nombreuses contraintes de la versification brident l’imagination. Or, comme l’écrit Baudelaire à propos du sonnet « parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense ». On peut, à partir de là, donner quelques caractéristiques de la poésie.

L’intensité. Les formes sont souvent brèves, l’idée doit se mouler dans le mètre du vers. Cela oblige à chercher l’intensité plutôt que la longueur, ce que permet la métonymie : « la pâle mort » = la mort qui rend pâle.

La suggestion. La poésie n’est pas explicative, elle montre, elle suggère. Pour cela, elle se sert d’images. Toutes les figures de l’analogie sont privilégiées : comparaison, métaphore, allégorie, personnification.

Les rapprochements. Les mots mis à la rime ont du poids, ils sont mis en relation, et cette relation peut créer du sens. Ainsi, il n’est pas anodin de mettre à la rime « tyrannique » et « république » (La Fontaine).

À noter

On qualifie d’art poétique un poème dans lequel le poète expose sa conception de la poésie et la met en pratique (ex. : Verlaine, « Art poétique »).

Les mises en relief. Anaphores, parallé­lisme, chiasmes se jouent des structures du vers. L’alexandrin et sa césure à l’hémistiche peuvent renforcer le poids d’une antithèse : « Qui produit la richesse/en créant la misère. » (Victor Hugo)